EDGAR QUINET CHAPITRE 4 extrait de De la modernité d’Edgar Quinet Bernadette Coltice

Où m’arrêterais-je si je ne suivais ici que mon adoration pour ces lieux ?

En 1836, la maison de Certines est vendue. « Où m’arrêterais-je si je ne suivais ici que mon adoration pour ces lieux ? Je ne m’arrêterais pas. Je raconterais l’histoire de chaque chaumière, de chaque champ, de chaque arbre. Car je les connais tous, comme ils me connaissent moi-même. Si la terre entière devait se flétrir, il me semble toujours que ce coin serait épargné, et qu’il garderait son innocence première ».
Lorsqu’en 1839 il retourne sur ces lieux qu’il a tant aimés, il est désorienté en constatant que sa « maison chérie » s’est muée en tas de pierres. On lui a volé sa terre, son enfance. Il se sent trahi. Il croit s’être trompé et s’aperçoit qu’on l’a trompé. Pour la première fois de sa vie, il se sent déraciné. Un profond sentiment de désespoir l’envahit et plus rien n’a d’importance. Il pourrait mourir là, à ce moment précis. Il pleure avec la paysanne qui, sortant de sa demeure et le reconnaissant, vient le rejoindre, comme une fée liant le passé et l’avenir. Par elle, il se sent accompagné dans sa désespérance.
Edgar voit la chance partout. C’est un optimiste. Encore une fois, il se reconnaît bienheureux d’avoir été « arraché à temps de ces fortes racines ». Tout ce qui lui arrive de douloureux est une opportunité qui l’aide à poursuivre un chemin, aride parfois. Il évince tout charme qui le retiendrait car il faut aller plus loin.

Quelques événements, comme des tâches de bonheur ou des cicatrices, des ressentis surtout et puis quelques dates précises marquent d’une manière indélébile leur territoire dans la vie de chaque individu. D’autres, refoulés par l’inconscient trop malin qui tente de s’en débarrasser resurgissent parfois. Alors il faut faire appel à ce qui reste de souvenirs pour tenter de faire un lien entre eux. C’est ce que tente de faire Quinet lorsque, à cinquante-cinq ans, il écrit ses souvenirs d’enfance.

A quand remonte sa conscience de la mort ? Au décès de Jules, le fils de son professeur de mathématiques tué à Iéna. C’est la première mort qui le touche et ce jour-là, il prend conscience que lui aussi mourra un jour.
Est-ce pour cette raison que dans ses écrits transpire la notion de l’éphémère ? Il évoque beaucoup le temps, comme s’il fallait vivre dans l’urgence.

Enfant de la terre, Edgar préfère le jeu aux leçons. Il s’intéresse peu à ce que lui apprennent ses précepteurs sauf à la démarche novatrice de leur enseignement. Déjà, il a une volonté de pionnier qui s’oppose aux caractères parfois conservateurs de ses parents. Sa mère se montre outrée que le professeur de mathématiques, auquel elle a confié son fils, puisse lui apprendre à former les lettres en les traçant sur le sable de Bouvent avec un bâton. Ainsi, à son grand désespoir, son fils sait écrire avant même d’avoir appris à lire.
C’est ainsi qu’à l’âge de cinq ans, le 22 octobre 1808, alors qu’il se trouve en vendanges à Jasseron chez la famille Riboud , il écrit la première lettre à sa mère. Il se sert d’allumettes de chanvre qu’il taille lui-même avec le couteau qu’il demande au cocher. Pour cela encore, il remercie son maître grâce à qui il apprend à écrire sans avoir recourt à un enseignement fastidieux n’épargnant ni larmes, ni lassitude.

« Ma bonne maman.
Presque toujours on dit que je suis bien sage. Je m’amuse bien et je pense à toi toujours.
Edgar ton fils et ton ami. »