« Il aura de l’esprit » extrait chapitre 3 De la modernité d’Edgar Quinet
Jean Louis Edgar Quinet naquit à Bourg-en-Bresse le 29 pluviose an onze à six heures du soir (17 février 1803) dans la maison Varenne de Fenille rue Cropet . Le lendemain, il fut baptisé à l’église Notre-Dame de sa ville natale, dans le catholicisme, bien que sa mère fût calviniste.
Sa grand-mère appartenait à une famille du parlement du Dauphiné, mariée à Philibert Quinet, maire de Bourg-en-Bresse. Sévère et redoutable, elle faisait, deux fois par semaine, appel à un garde de la ville qui venait fouetter ses enfants. Elle enfermait Jérôme, père d’Edgar dans un tiroir de commode, chaque fois qu’il osait pleurer. Son fils avait dix-huit ans, lorsqu’un jour elle commanda que l’on arrachât toutes les fleurs que le jeune homme cultivait avec passion. Il se rebella le lendemain en sciant tous les arbres fruitiers du jardin… puis s’enrôla. C’était en 1792.

Edgar Quinet paraît porter un lourd héritage du côté de son père, depuis le jour de sa naissance où ces mots « il aura de l’esprit » échappèrent de la bouche de la fameuse mégère. Le corps, le cœur du bébé les retint. Il semble qu’il les reçut comme un cadeau d’une fée. Est-ce pour cette raison qu’il se donna pour mission de devenir un homme de pensée et d’être à la hauteur des gens d’esprit ? Par ces mots jetés, Edgar fut l’objet d’une réconciliation entre la grand-mère et son fils qui venait de se marier.
L’autre fardeau que porta Edgar furent les absences de son père, qu’elles fussent réelles ou non. Une carence d’éducation en tout cas. Il évoque sa sévérité qui lui rappelle sa grand-mère et lui reproche son manque de rigueur. Il le considère comme un homme d’un autre siècle, avec des idées de pointe qu’il ne sait pas mettre en exergue et dont il ne tire pas profit pour se réaliser. Edgar utilisera cette déficience dans la relation avec son père en guise de défi pour sa propre réussite.
Tout au long de ses écrits, sa mère est évoquée. Il la respecte pour ce qu’il y a de grand en elle. Cette femme qui a beaucoup voyagé en accompagnant son père, secrétaire d’ambassade, a de l’érudition, de la sagesse et du charisme. Bien française, elle est suisse de cœur et a emprunté à ce pays ce qu’il a de plus élevé dans les bons principes et les bonnes manières. Elle a rencontré Mme de Staël au château de Crans et ayant eu l’heur d’admirer cette grande dame et ses écrits, elle transmet son engouement à son fils.
Madame Quinet est une mère omniprésente, du moins tient-elle le rôle du père que ses obligations professionnelles éloignent. Edgar hérite d’elle la hardiesse de ses idées plus que sa curiosité. Dans ses prières du soir, elle éduque son fils et lui enseigne ses chagrins qu’il entend plus qu’il ne les comprend. L’idée de Dieu, il l’a toujours eue, mais Eugénie Quinet, bien qu’elle soit calviniste, lui transmet l’idée d’un Père tout-Puissant, d’un père commun. « C’était notre vie de chaque jour exposée, dévoilée devant le grand témoin… l’église était certainement l’endroit où j’étais le moins occupé de Dieu, le moins près de lui ».
Ce qui compte pour cette mère est d’élever son enfant dans un idéal chrétien qu’elle lui insuffle comme tout le reste, d’une manière personnelle et peu conventionnelle. Edgar l’adore, il l’adule même pour se faire aimer à la hauteur de son grand appétit. Lorsqu’il parle d’elle comme de sa Lumière, il le fait avec le recul du temps car il semble que cette mère fut plus ambitieuse pour son fils qu’encline à la tendresse.