Rentrée des classes
La scolarité est obligatoire jusqu’à quatorze ans puis jusqu’à seize ans, loi du 6 janvier 1959. Tolérance pour les enfants de paysans qui vendangent et aident aux travaux agricoles. Le premier octobre, c’est donc la rentrée, sauf pour certains gamins des campagnes.
L’école est publique, laïque et obligatoire. Merci monsieur Ferry. L’école est le lieu de l’émancipation. Pour devenir un citoyen, on va à l’école de la République que l’on respecte, sinon on se fait tirer les oreilles et même les cheveux. Ce sont, pour la plupart, des écoles Jules Ferry, d’un côté les filles, de l’autre côté les garçons donc séparés, même dans la cour de récréation, par une barrière ou un haut mur. Dans les villes, les écoles sont carrément dissociées, école de filles, école de garçons. On l’appelle école publique à la ville, école communale à la campagne, sans doute parce que depuis les lois Jules Ferry, le matériel de ces écoles-là est à la charge de la commune. Livres et fournitures sont gratuits.
Ecole privée ou école libre. Les enseignants sont souvent des religieuses. L’enseignement comprend le catéchisme et les heures de messe. Dans certains établissements, le port de l’uniforme est obligatoire.
La guerre entre l’école privée et l’école publique. Les enfants sont d’accord avec leurs parents, ils tirent la langue aux enfants de l’école privée ou de l’école publique, ils ne leur disent pas bonjour, ils leur jettent des cailloux (des petits) à la sortie de l’école. Certains sont élevés à se regarder en chien de faïence, entre élèves.
L’enseignement public a ses programmes officiels bien appliqués, respectés et sans grande liberté. Tout est imposé, y compris les titres des chants et les exercices de gymnastique pour le certificat d’études.
L’école commence par la maternelle, les Petits puis les Grands. Ensuite, Première division, Deuxième division, Grande division. Pour certains, la classe de fin d’études dure deux ans.
Le cartable, en cuir ou en carton bouilli (quand les parents promettent que l’on récupérera le cartable du frère ou de la sœur aîné, c’est vraiment que l’on devient grand), est rempli d’illusions, de belles promesses et de tout l’attirail du parfait écolier, sans oublier le rapporteur, l’équerre et surtout la gomme neuve car celle-là, il fallait vraiment la changer. La blouse a été allongée par des mains pas toujours expertes. Les écoliers sont vêtus de gris ou noir pareil aux enseignants mais les filles sont autorisées à davantage de fantaisie, blouse bleue, beige ou à carreaux.
Le directeur ou la directrice frappe dans ses mains et aussitôt les rangs se forment. On s’apprête à rentrer en classe, droits et disciplinés comme à l’armée. Aujourd’hui, pas de revue de propreté. Demain, dans cette cour, toujours en rang deux par deux, juste avant de rentrer en classe, la maîtresse vérifiera la netteté des oreilles, des ongles et celle des pieds au moment des vendanges. Deux fois par jour, c’est la revue de mains que tous les gamins tendent, paumes vers le haut. Quelques-unes des exigences de l’école. Demain déjà, les gravillons taleront les genoux tandis que platanes et marronniers, presque inséparables dans une cour d’école, se feront complices des jeux.
Mon école a une odeur. Je ne sais dire laquelle. Il n’y a pas de mot. Elle a une odeur quoi ! Est-ce que le terme odeur a une importance puisque personne ne ressent la même que moi ? Le plancher de bois brut craque sous nos pas. Les pupitres, avec leur banc de bois à deux places, sont soigneusement alignés. Le poêle à charbon est cylindrique, en faïence noire, avec son tuyau qui grimpe et perce le plafond. Parfois, il est protégé par une grille. Il veille la classe aux murs crayeux et élavés, par endroit noircis par sa fumée.
Derrière l’estrade de la maîtresse, le tableau, inséparable de son chiffon imbibé de craie et, à côté, une carte de géographie multicolore constituent le mobilier indispensable. La carte de la sérieuse maison Vidal-Lablache est rarement neuve, plutôt écornée et d’un jaune pisseux. Le Mont Blanc a une altitude immuable de 4807 mètres et la Loire prend sa source au mont Gerbier de Jonc. Pour apprendre les pays, on dessine à main levée la carte de l’Afrique, de la France et ce n’est pas si mal, enfin, pas pour tous. Les cartes des sciences Rosignol se cachent dans le porte-cartes en bois. C’est ainsi que l’on apprend les cours d’eau et le reste, sur la carte plate, le sud en bas, le nord en haut. C’est donc tout naturellement que l’on prétend Monter à Paris lorsqu’on habite (presque tous les Français) en dessous de la capitale.
Une classe tout en couleur, faite de blouses grises, de buvards verts, d’encre violette, de tableau noir, d’encriers blancs, d’ardoises grises, de boîtes de peinture Lefranc, de livres bleus et d’enfants aux âmes roses.
Voilà, on s’apprête à apprendre septante (70) et nonante (90) et pas du tout octante (80), parce que ce n’est pas assez joli à l’oreille ! On se prépare à compter les bûchettes, minces bâtons d’environ dix centimètres, par paquets de dix, utilisés pour apprendre le calcul, à lever le plus rapidement possible son ardoise en l’air avec la solution du problème écrit en gros à la craie.